L'éthique
S’appuyer sur les souhaits de l’enfant qu’on accompagne ou sur ceux de ses parents pour construire le plan d’intervention en ergothérapie ? Accompagner ou non la mise en place d’une aide technique ou humaine pour compenser l’impossibilité de la personne pour fumer ? Et, s’il s’agit de cannabis ? Faut-il chercher à occuper un résident qui ne demande pas à l’être ? Comment se positionner lorsqu’un usager nous expose son projet de mort (suicide assisté, euthanasie) alors qu’il est question de projet de vie ? Quid de la préconisation d’une aide technique quand elle peut donner plus d’autonomie et d’indépendance à la personne mais aussi potentiellement la mettre en danger ? etc.
Quand la sécurité semble s’opposer à la liberté, à l’autonomie. Quand les valeurs de l’autre nous semblent immorales, quand elles s’opposent à nos propres valeurs, personnelles, professionnelles. Quand ses aspirations ou ses comportements sont illégaux…
Les ergothérapeutes sont constamment mis face à des dilemmes, pour lesquels ils doivent prendre des décisions professionnelles, choisir un positionnement. C’est en imaginant les différentes réponses possibles, en évaluant les bénéfices et les risques de ces réponses, mais aussi en s’appuyant, lorsqu’ils le peuvent, sur leurs collègues et leurs supérieurs, qu’ils tentent de prendre une décision la plus juste possible.
Ainsi, sans vraiment en avoir conscience, les ergothérapeutes sont quotidiennement confrontés à des dilemmes éthiques et doivent – d’une certaine manière – mener des réflexions éthiques pour prendre des décisions professionnelles.
Pour Marie Josée Drolet, l’éthique a effectivement une place centrale en ergothérapie. “De l’éthique à l’ergothérapie – la philosophie au service de la pratique ergothérapique “, 2ème Ed. 2014, p 6]
“En somme, l’éthique fait partie de l’univers de pratique de l’ergothérapeute. Celui-ci a des obligations éthiques et il doit, par conséquent, acquérir des compétences éthiques. Aussi, l’ergothérapeute vit des préoccupations éthiques liés, entre autres, à la qualité des services qu’il offre (pratique probante), à la signifiance de ses interventions pour ses clients (sécurité culturelle), à la manière dont il distribue les services aux personnes qu’il aide (justice distributive), à la façon dont les services de santé et les services sociaux sont accessibles et rendus (justice sociale), aux enjeux et défis que soulève la défense des droits et intérêts de certains clients plus vulnérables (advocacy) et à la justice à travers les occupations (justice occupationnelle) “
Seulement, les ergothérapeutes français sont-ils suffisamment outillés pour mener ces réflexions éthiques ? Si la prise de conscience du dilemme éthique est une étape primordiale pour amorcer la réflexion éthique, les ergothérapeutes peuvent-ils aujourd’hui répondre à leurs obligations éthiques ? Disposent-ils des compétences éthiques évoquées par Marie-Josée Drolet pour prendre des décisions professionnelles justes ? Qu’est-ce d’ailleurs qu’une décision professionnelle juste ? « Juste » pour qui ? L’ergothérapeute, son équipe, le patient, sa famille, le législateur, le supérieur hiérarchique, le financeur ?… « Juste » au regard de de quoi ? La loi, la déontologie, la justice occupationnelle, l’égalité, la morale, la culture, la science, la médecine ?…
Le sujet est vaste, philosophique, mais pourtant bien ancré dans les pratiques quotidiennes. Marqué aussi par les évolutions sociétales, à l’heure où la loi de bioéthique est en reconstruction, à l’heure où les contextes sanitaire, économique, climatique, géopolitique semblent multiplier les enjeux éthiques.
Dans le paysage ergothérapique français, la réforme des études d’ergothérapie en 2010, avec l’universitarisation, le concept de science de l’occupation et le virage occupationnel qui semble s’opérer sont autant d’éléments qui induisent une nécessité de pousser plus en avant encore la professionnalisation des ergothérapeutes. Avec la professionnalisation, l’éthique prend une place d’autant plus importante et devient un fondement indispensable pour garantir une démarche qualitative, probante, juste, équitable…
C’est pourquoi, après s’être principalement intéressé à l’exercice professionnel depuis sa création en 2014, le Comité Ethique et Exercice de l’ANFE compte désormais accorder une place plus importante à l’éthique, pour pouvoir accompagner les prises de conscience, pointer les dilemmes éthiques, contribuer aux réflexions, rappeler les valeurs de l’ergothérapie qui peuvent guider des prises de décisions et participer au développement des compétences éthiques des ergothérapeutes.